Par Joël COMTE
La période actuelle est marquée par un manque chronique de manipulateurs d’électroradiologie médicale (MEM). Aucune région de notre territoire national n’échappe à ce constat. En parallèle aux annonces d’offres d’emploi qui se multiplient, les bourses ou indemnités d’études deviennent quasiment incontournables pour recruter. Ce phénomène n’est pas propre à la France et de nombreux autres pays à travers le monde sont confrontés aux mêmes difficultés pour faire fonctionner leurs machines et apporter une offre de soins satisfaisante à la population.
Derrière l’aspect positif de voir les conditions d’embauches s’améliorer pour les MEM (salaire, prime,…), se cache notre crainte de voir des dérives de pratiques pour pallier ce manque crucial de professionnels disponibles. L’une de ces dérives potentielles est liée au progrès technologique permettant à un professionnel de prendre la main à distance sur une console d’acquisition de type IRM. Plusieurs constructeurs proposent d’ores et déjà ce type d’équipement. Annoncés comme des « logiciels d’assistance à l’acquisition » par certains, ils peuvent dans des circonstances précises apporter une véritable aide pour assister une équipe lors de paramétrage d’examens rares ou complexes.
Mais nous ne pouvons regarder cela sans nous questionner. Évacuons tout de suite l’idée que nous serions anti-progrès ou technocritiques. Notre profession est née des innovations technologiques et son évolution suit le cours des avancements de la science et des technologies. Mais lorsqu’un progrès annoncé tient en son sein la possibilité de faire régresser une profession, l’attention doit être de rigueur.
En effet, comment ne pas imaginer des dérives lorsqu’il y aurait d’un côté un MEM programmateur, éloigné de la réalité du lieu de l’examen, et de l’autre côté un professionnel, à la qualification quelconque qui s’occuperait du patient. Proposée pour pallier le manque de personnel manipulateur, cette solution ne tient-elle pas en elle le danger de remplacer des postes de MEM par d’autres professionnels ? Notre profession a dans son coeur ce qui nous rend unique, le fait d’avoir en même temps les compétences soignantes et les compétences techniques. A segmenter nos activités professionnelles, nous risquons de perdre nos compétences spécifiques. Si vous enlevez l’aspect technique ainsi que la gestion des risques tels que la radioprotection ou la magnétoprotection, un manipulateur pourrait aisément être remplacé par une infirmière, ou par d’autres, diront certains.
Comment imaginer un MEM à distance maitrisant tous les risques liés à un examen ? Seul le professionnel sur place, avec une vision exhaustive de son environnement et une analyse de la situation clinique du patient, peut garantir la continuité et la sécurité des soins. Ca ne peut donc être qu’un manipulateur qui peut prendre en charge les patients. Et pour les mêmes raisons, ce ne peut être que le manipulateur présent qui peut déclencher une acquisition d’examen, ou un traitement, quel que soit l’agent physique mis en œuvre (RX, ondes électromagnétiques…). Le programmateur, en gérant en même temps plusieurs consoles, qu’il soit manipulateur ou autre (on pourrait imaginer d’autres professions), ne peut, ne doit prendre la main sur le déclenchement des appareils. Nous imaginons aisément les risques, notamment en termes d’identitovigilence.
Nous appartenons à la filière médico-technique. C’est-à-dire que notre métier est constitué d’une facette de technicien, et d’une autre facette médicale, celle qui s’occupe des patients. C’est à ce dernier titre que nous revendiquons notre rôle de soignant, car nous mettons notre technicité au service de ceux qui ont besoin d’examens d’imagerie ou de traitements. Les dernières revendications d’une grande partie de la profession pour se voir attribué la prime Veil vont bien dans ce sens et sont légitimes. Il est donc très curieux, voire paradoxale, que dans un même temps nous voyons surgir des offres d’emploi pour des manipulateurs travaillant à distance. Cela nous semble totalement incohérent. La période actuelle est bien propice au télétravail, mais devenir télémanipulateur, c’est renié son côté soignant. C’est aussi mettre du flou sur les aspects juridiques en termes de responsabilité en cas de problème. Et ceci sans parler du risque de voir à terme d’autres professionnels prendre notre place auprès des patients. D’aucun pourrait en effet voir une opportunité de pallier le manque de MEM et d’avoir des employés meilleur marché.
Nous revendiquons notre spécificité de technicien au plus près des patients pour répondre au mieux à leurs besoins et pour leur sécurité.
« Je suis soignant, je suis présent ! »
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